Vernissage 3 mars 2018, 16h - 20h
3 mars – 15 avril 2018
Perrotin New York présente « Dark Matters », la septième exposition personnelle de Jean-Michel Othoniel à la galerie. Regroupant un ensemble d’oeuvres inédites, certaines spécialement conçues à cette occasion, cette exposition marque l’inauguration de l’ensemble des espaces du 130 Orchard Street et se déploie sur plusieurs niveaux du bâtiment. « Dark Matters » est le titre du texte écrit par Natasha Boas, commissaire d’exposition, auteur et critique franco-américaine, dans l’ouvrage éponyme qui est publié à l’occasion de l’exposition. Privilégiant les matériaux aux propriétés poétiques et sensibles, Jean-Michel Othoniel est un artiste majeur de la scène artistique française et internationale. Dessin, sculpture, installation, photographie, écriture, performance, l’artiste utilise le verre depuis les années 90, matériau qui devient sa signature. Exposé dans le monde entier, Jean-Michel Othoniel est un artiste qui se demande comment habiter aujourd’hui le monde : une œuvre où la beauté n’est plus une donnée esthétique, mais une condition d’existence.
Les nœuds sauvages
La figure de l’oxymore caractérise les dernières créations de l’artiste qui seront présentées à New-York. Ses oeuvres lient le monumental et le fragile, l’austérité et le merveilleux, le minimal et le baroque. Tous les éléments convoqués, tels que le verre, le miroir, le métal, l’encre, l’or blanc, participent de ce désir d’enchantement violent, minimal et tellurique que l’artiste oppose aujourd’hui à la tristesse du monde. Dans le monde enchanté d’Othoniel, l’enfer et le paradis offrent le même visage : celui d’un univers fantasmagorique, sur lequel nos tourments et nos jugements humains n’ont pas prise. La fantasmagorie accueille et unifie les contraires, qu’il s’agisse des jugements moraux (le bien et le mal) ou des divisions esthétiques (le beau et le laid, l’abstrait et le figuratif). En elle s’atteint la plénitude artistique recherchée par les romantiques. « L’art est l’incarnation d’une contradiction infinie dans un objet fini », énonçait Schelling(1). La conscience de l’infini des contradictions, qui a marqué dès ses débuts l’oeuvre de l’artiste, trouve ici son épanouissement dans une conception de l’art comme pur dispositif d’investissement fantasmatique. Ce faisant, il rejoint le positionnement radical qu’avait su imposer à la scène artistique contemporaine un artiste hors normes comme James Lee Byars. À l’infini des doutes, Byars répondait par une quête de la perfection le dirigeant vers les limites extrêmes de l’art : la transformation totale du monde en objet de contemplation, puis, dans une étape ultime, la proposition de l’art comme seul univers véritablement habitable pour l’esprit humain.
Othoniel développe dans son langage propre une conception de l’art comme « monde à habiter » que décrivait Gianni Vattimo au sujet de Byars (2) ; une conception qui ne peut s’incarner que dans une oeuvre où la beauté n’est plus une donnée esthétique, mais une condition d’existence.
La beauté et ses reflets
Mélangeant le métal poli au verre miroité, les oeuvres de cette exposition sont placées sous le signe de la tempête et de la violence des éléments. Cette nouvelle exposition met en scène une source jaillissante sortant d’une grotte bleue et de gigantesques tornades tournoyantes comme des mobiles. Ces oeuvres centrales sont entourées d’espaces murés de briques miroirs, de chutes de colliers et de grands noeuds de perles de verre suspendus. Ces sculptures cherchent la violence des formes, elles montrent l’équilibre juste des ellipses en suspension et leurs reflets entre elles. L’artiste puise aussi son inspiration dans une fascination pour l’observation des combinaisons mathématiques des reflets infinis. De là est né un dialogue avec le mathématicien mexicain Aubin Arroyo. Les images que développe ce dernier dans ses recherches font écho aux sculptures réfléchissantes qu’Othoniel a créées en hommage à Jacques Lacan. De cette rencontre entre sculpture, psychanalyse et mathématiques est née un livre, Nudos Salvajes (3), qui sera publié en décembre 2017. Au même moment, une oeuvre de Jean-Michel Othoniel, le Noeud Infini, entrera dans les collections du musée de l’Institut des Mathématiques de l’Université de Mexico. Comme l’explique Aubin Arroyo, « jusqu’à présent les mathématiciens ont répertorié plus d’un million et demi de noeuds différents, du plus simple au plus compliqué, et leur nombre ne cesse d’augmenter. Cependant, le projet de répertorier tous les noeuds existants reste inachevé. En effet, ce répertoire ne prend en compte que les noeuds disciplinés. Un noeud est considéré comme discipliné si il peut être réalisé avec une corde composé d’un nombre fini de billes ou perles. Mais il existe certains noeuds qui ne rentrent pas dans cette catégorie. On les appelle les nœuds sauvages. (4) » Les artistes surréalistes étaient fascinés par les objets et les formes mathématiques, porteurs d’une poésie intrinsèque dans leur abstraction, pour nous aléatoire et déconcertante. Ces formes linéaires, traductions schématiques de la pensée qui, à partir du plus simple, atteint la complexité de l’élaboration logique, sont l’expression même du mystère de la forme. En effet, nul ne doute qu’elles ont un sens, ésotérique pour le commun, mais essentiellement limpide et démonstratif. Visualisations d’une théorie, d’une hypothèse, d’un système, elles inscrivent la pensée pure dans l’espace. Dans les objets mathématiques, l’oeil perçoit un au-delà de la forme, une abstraction qui n’est pas désincarnation mais au contraire expression matérielle de l’immatériel. « Un schéma de nœud peut être compris comme la projection de l’ombre d’un noeud sur une surface plane. (5) » Ces ombres projetées dont parle le mathématicien décrivent parfaitement les peintures que l’artiste présente dans les nouveaux espaces de la galerie Perrotin. Ce sont des figures abstraites mais basées sur l’observation de la nature et de ses ombres, elles envahissent le format de la toile comme des jaillissements d’encre, un geste froid qui effleure la surface recouverte de feuilles d’or blanc. Comme des icônes maculées et glacées, ces peintures entourent les sculptures aux miroirs noirs, ambres et violets. Cette série d’œuvres sur toile montre l’importance du dessin, du mouvement suspendu et du corps distancié dans le travail d’Othoniel. La première peinture n’est-elle pas juste l’ombre d’un amant disparu ?
Pour une nouvelle architecture de verre
« La surface de la terre prendrait un tout autre aspect si, dans l’architecture, le verre supplantait partout la brique. Ce serait comme si la terre revêtait une parure de brillant et d’émaux. (6) »
Comme ses noeuds, sous une apparente rigueur, Othoniel est « wild ». Libre de tout quitter pour partir en Inde, y rester plusieurs mois et découvrir ce pays à travers ses techniques verrières. Ce déplacement fut pour lui l’occasion de travailler à Firozabad, la ville indienne du verre, où il a découvert la technique ancestrale des artisans locaux, il les a observé travailler à même le sol, au plus près de la matière et des fours. Ces moments créatifs, nés de ce corps à corps entre le matériau en fusion et le verrier souffrant dans une chaleur étouffante l’ont profondément bouleversé. En Inde, tous ses acquis sur le travail du verre ont été bousculés. Depuis cette expérience marquante il crée de gigantesques murs de briques de verre construits selon les techniques indiennes. Ces oeuvres monochromes et abstraites sont issues de l’observation des nombreux tas de briques accumulés en Inde le long des routes. Ces monolithes de briques sont apparus à l’artiste comme des monuments portant l’espoir de leurs propriétaires, symbole de leurs rêves à construire un jour leurs propres maisons. À New York aujourd’hui, Othoniel expose ses Precious Stonewalls, son Chemin de briques bleues et sa Grotta Azzurra. Ces espaces emmurés proches d’une architecture radicale rendent tout à la fois un hommage poétique à l’emblématique rassemblement de Stonewall de Christopher Street et dénonce le silence qui toujours menace le sens de cette marche mondiale, née à New York au début des années 70.
Le réel merveilleux
Ce désir de rassemblement, d’architecture et de monument utopique qui permettent le dialogue et la rencontre, l’artiste souhaite le réfléchir pendant la durée de son exposition avec les étudiants de NYU et grâce à la complicité de Public Art Fund. En transformant une salle de la galerie en workshop, il soulève la question qui le hante aujourd’hui à l’heure où le monde semble s’écrouler : comment ré-enchanter le monde ? Il se demande ce qu’il est advenu au lendemain de l’effondrement de la tour de Babel et du dispersement des millions de briques à même le sol ? Qu’en ont fait les hommes ? Qu’ont-ils reconstruit et que devons-nous reconstruire à leur suite ?
1. Friedrich Wilhelm Joseph Schelling, Le Système de l’idéalisme transcendantal, trad. de l’allemand par Ch. Dubois, Louvain, Peeters, coll. Bibliothèque philosophique de Louvain, 1978.
2. James Lee Byars, Gianni Vattimo& Rudi Fuchs, James Lee Byars – The Palace of Good Luck, ed. Castello di Rivoli - Museo d’arte contemporanea, Rivoli, Turin, 1989.
3. Jean-Michel Othoniel et Aubin Arroyo, Nudos Salvajes, Edition Othoniel, Paris, 2017.
4. Ibid.
5. Ibid.
6. Paul Scheerbart, L’Architecture de verre (1914), trad. De l’Allemand par P. Galissaire, Circé, Poche, 2013, p.52.